Aide-mémoire n°76

Angela Davis, les Blacks Panthers sont des icônes associées au « marxisme noir ». Ici, le philosophe Matthieu Renault nous fait découvrir la trajectoire d’une figure plus méconnue : Cyril Lionel Robert James. Originaire des Antilles britanniques, ce petit fils d’esclave lettré va voyager de par le monde et muer en écrivain et intellectuel. Écœuré par les rapports de domination, il embrasse le marxisme et met « sa pensée en mouvement » au service de la décolonisation, du panafricanisme, de la lutte des Noirs mais également de l’émancipation des masses. Loin d’être désuète, sa réflexion est encore opérante pour penser la cohabitation entre majorité et minorité dans nos sociétés occidentales.

Rose Hanon est une jeune prof et elle décide de démissionner, pas à cause de ses élèves ni de son poste, mais de la conception de son poste que l’institution scolaire veut lui imposer. La rupture est idéologique. Son quotidien à l’école lui a en effet fait prendre conscience que les réformes du système éducatif visent à l’adapter à l’esprit du capitalisme, à le « marchandiser », et non plus à envisager l’éducation comme un outil d’émancipation ou de réduction des inégalités. Alors, Rose Hanon - qui est en fait un pseudonyme - dénonce, milite, et grâce au pouvoir de la fiction, transforme sa classe en un « cirque » pour « enseigner autre chose, autrement ».

Un coq tricolore sur la couverture, accompagné d’un texte de présentation interpellant : « Liberté, égalité, fraternité : notre devise n’est-elle pas, la plus belle… celle qui montre la voie à l’humanité ? » Faut-il voir là la marque d’un ouvrage nationaliste ? Pas du tout! Plutôt une pointe d’ironie. En fait, Français Bégaudeau, le réalisateur d’Entre les murs, présente ici un texte de théâtre à destination des jeunes pour interroger avec eux le socle moral de la République. Une porte d’entrée pertinente dans le climat post-Charlie, mais aussi un bon remède contre les crispations identitaires et les fondamentalismes de tout bord… y compris républicains. Pour Bégaudeau, il faut se préserver du sens unique des mots et favoriser le débat et la dispute fraternelle !

« Fainéant », « profiteur », voire… « parasite ». En cette période de crise économique, qui n’a jamais entendu/proféré pareils clichés à l’en­contre des chômeurs? Le travail semble être devenu un vrai devoir mo­ral, et qui ne s’y plie pas, pour telle ou telle raison, subit l’opprobre de la population. Pourtant, cette stigmatisation est loin d’être récente…Cet ouvrage très détaillé remonte à ses origines en retraçant l’histoire du chômage en Belgique du XIX^e siècle à nos jours. Un destin lié à celui du politique, du patronat, des syndicats, et à la construction d’une sécurité sociale. En forgeant une mémoire écrite des chômeurs, ce livre contribue à leur redonner une dignité et exhorte le reste de la population à ne pas emprunter les pentes les plus simples de l’esprit.

Dans cette bande dessinée, le fantôme arménien revient hanter la conscience turque contemporaine. Pour illustrer ces questions mémorielles, nous suivons le récit de Varoujan, un membre de la diaspora arménienne française, effectuant un pélerinage en Turquie, sur les terres de « cet Auschwitz à ciel ouvert ». L’occasion pour lui de rencontrer des descendants de déportés. Une nouvelle génération qui sort de l’ombre et du silence, qui raconte l’histoire de son peuple et qui milite pour obtenir la reconnaissance du génocide de 1915. L’État et la société turcs ne peuvent se cantonner dans le déni.

Certaines clés de lecture du présent peuvent être trouvées dans le pas­sé. Dans cette optique, l’auteur s’ interroge sur l’antisémitisme actuel et le met en perspective avec son évolution historique. Il dégage ainsi une typologie de dénominations - antijudaïsme, antisémitisme racial, anti­sionisme - qui sont les marqueurs d’une époque, mais qui illustrent en même temps la capacité de reproduction et d’adaptation d’une matrice idéologique judéophobe commune. « Cette étude de cas » devrait permettre d’élargir la réflexion sur la xénophobie, le rejet de l’Autre en général, et la désignation toujours rassurante d’un bouc émissaire.

Dans cet essai, le subversif Denault lance un nouveau pavé dans la mare : selon lui, nous vivons une ère où la bêtise est érigée en modèle et où les médiocres ont pris le pouvoir : « Penser mou et le montrer… ». À partir d’exemples balayant un large éventail de milieux (monde intellectuel, professionnel, financier), il déconstruit un système qui briderait l’engagement citoyen et ferait la promotion d’individus arrivistes, incompétents mais maîtrisant à merveille ces modalités de médiocrité : conformisme, manipulation et simplification du langage, image « sexy », réseautage, etc. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé n’est en aucun cas fortuite.

Dans les années 1950, un rapprochement a lieu entre l’Espagne franquiste, le Portugal salazarien et les démocraties occidentales (accords économiques et militaires, entrée dans les institutions internationales…). Pour les républicains espagnols et portugais exilés, cela en est de trop ! Ils comptent bien rappeler au monde qu’il s’agit des dernières dictatures fascistes européennes et que la réactivation de la lutte est primordiale. Dans cette perspective, le DRIL, un groupe révolutionnaire ibérique, réalise un coup d’éclat en détournant le navire transatlantique portugais Santa Maria. Les appareils de propagande des dictatures et des États européens occulteront les véritables enjeux de cette singulière « histoire de pirates ». Montanyà apporte sa contre-vérité!

Colombine, Utøya, ou Paris plus récemment… Des actes de barbarie commis par des fous. Pourtant, Berardi nous invite à dépasser ce constat d’évidence. Il se penche sur ce « terrorisme suicidaire », et « diagnostique » qu’au-delà d’un ensemble de facteurs psychologiques et émotionnels propres à ces individus, certaines causes sont à chercher du côté de notre environnement politique et économique. Par la violence qu’elle exerce et sa prédation, la société capitaliste contribuerait à produire ces « tueurs de masse »… mais pas uniquement. Elle favoriserait l’émergence d’un autre phénomène pourtant en lien : le « suicide de masse » de nombreux travailleurs. Une lecture sombre mais éclairante !

Tout comme Primo Levi, Pietro Scarnera est né à Turin. Cela explique en partie l’affection que l’illustrateur a toujours eue pour cet homme. Avec une amie, il retourne sur ses traces, là-bas. Il résulte de ce voyage une bande dessinée dans laquelle est brossé le portrait d’un personnage complexe : témoin et rescapé de la Shoah, mais également écrivain, poète , chimiste, militant… L’hommage à Primo Levi est humble et respectueux. Il est centré sur son œuvre, sur son héritage moral et sur les indices disséminés ici et là dans les interviews d’époque. En effet , maints aspects de sa vie resteront à jamais une énigme.