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Quel avenir pour les régions en Europe?

Par Pierre Meurrens

Étudiant en science politique

Le 25 mai 2014 est une date importante dans le calendrier politique belge mais il l’est tout autant dans les calendriers des vingt-huit États membres de l’Union européenne. Les électeurs sont, en effet, appelés à renouveler le parlement européen qui aura, pour la première fois de son histoire, la capacité de choisir le nouveau président de la Commission européenne. Le 25 mai, un nouvel hémicycle européen aura été mis en place, ainsi aurons-nous une indication de la direction que prendra l’Union pour les cinq prochaines années. Cette élection revêt un caractère particulièrement important : la crise économique a affecté énormément de citoyens-électeurs et ceux-ci se sont tournés, parfois avec vigueur, vers des partis extrémistes remettant en cause l’acquis européen. Parmi ces forces politiques prônant le repli sur soi et le nationalisme, on retrouve des partis souhaitant plus d’autonomie voire l’indépendance de leur région : les partis régionalistes. Ces derniers ont acquis une visibilité très importante suite aux manœuvres référendaires des formations politiques catalanes et écossaises (le referendum sur l’autodétermination de l’Écosse est prévu le 18 septembre 2014 alors que celui prévu en Catalogne prendrait place le 9 novembre de la même année). Les élections européennes donneront donc le ton dans l’optique des deux referenda. Le présent article propose un rapide tour d’horizon des ces partis, leur poids, leurs ambitions et les conséquences de leurs discours sur la politique nationale et européenne.

Statue de William Wallace à Aberdeen, en Écosse

Statue de William Wallace à Aberdeen, en Écosse

La Belgique, laboratoire de l’Europe… aussi pour l’Europe des régions ?

La triple élection belge de mai 2014 agite le monde politique bien au-delà de nos frontières. Le score de l’Alliance Néo-flamande (N-VA) est attendu par bon nombre de journalistes et analystes politiques à travers l’Europe. Pour beaucoup, le pays est au bord de l’éclatement et la Flandre pourrait bien devenir une nation indépendante au sein de l’Union européenne plus rapidement que prévu. En effet, selon les statuts du parti, la volonté est de réaliser une « République de Flandre indépendante et membre d’une Union européenne démocratique[1] ». Le confédéralisme serait l’étape ultime pour concrétiser le rêve des nationalistes flamands. L’indépendance du pays va donc de pair avec une intégration européenne. Ce point de vue est également partagé par le Vlaams Belang, à une nuance près. Ici, le parti se positionne clairement contre la création d’un État fédéral européen. Pour eux, la souveraineté flamande n’est pas un vain mot. La coopération économique européenne a apporté énormément aux pays de l’Union mais le projet politique, l’Europe fédérale, réduirait selon eux la Flandre à un contributeur pour les pays pauvres[2].

En résumé, l’intégration européenne est, pour les partis nationalistes flamands, un passage obligé dans l’histoire de la Flandre mais une question reste en suspens : quelle Europe ? La question reste posée au vu des positions respectives de la N-VA et du Vlaams Belang.

Espagne et Royaume-Uni : des majorités dans la minorité

La Belgique est un cas particulier dans le jeu institutionnel car le pays est composé de deux grandes communautés (et une plus petite trop souvent oubliée). Ailleurs, le nombre de régions (au sens large du terme) est plus significatif. Cela modifie les implications politiques des partis régionalistes. Il arrive que dans certains pays, des partis autonomistes ou indépendantistes soient minoritaire dans les hémicycles nationaux mais majoritaires dans les parlements régionaux. Ce cas de figure se présente au Royaume-Uni et en Espagne

Au Royaume-Uni, une seule des assemblées est dominée par des forces indépendantistes : l’Écosse. Le Parti national écossais (Scottish National Party, SNP) possède la majorité absolue (67 sièges sur 129) au parlement écossais alors qu’à la Chambre des communes, le parti n’obtient que six sièges (sur les 650 que compte le parlement). Le nationalisme est présent dans les autres assemblées de la Frange celtique (Celtic fringe). Au Pays de Galles, 11 sièges sur 60 sont acquis aux indépendantistes. Enfin, en Irlande du Nord, le cas est plus particulier : 43 sièges sur 108 ont été obtenus par des partis souhaitant la réunion des deux Irlande au sein d’un État indépendant (56 membres souhaitent le maintien de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni et 9 sont neutres)[3].

En Espagne, trois régions (Communautés autonomes comme on les appelle) se démarquent des autres : la Catalogne, le Pays basque et Navarre. En Catalogne, il n’existe pas un seul parti nationaliste, comme en Écosse. Les forces politiques nationalistes se structurent selon un axe gauche-droite : « Convergence et Union » (Convergència i Unió, CiU) est un parti de centre-droit alors que la « Gauche républicaine de Catalogne » (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC) est, comme son nom l’indique, un parti de centre-gauche[4]. En termes de sièges, l’ensemble des partis indépendantistes ont obtenu 87 sièges sur 135, soit leur meilleur score. Toute autre est la situation au Pays basque et en Navarre. Dans ces deux régions, les régionalistes sont en majorité (48 sièges sur 75 au Pays basque et 34 sièges sur 50 en Navarre) mais, à la différence de la Catalogne, certains partis demandent plus d’autonomie mais pas l’indépendance. Dans le reste du pays, les partis régionalistes sont en minorité. Ces résultats sont en contraste avec les élections générales espagnoles : l’ensemble des partis indépendantistes, toutes régions confondues, ont obtenu 33 sièges sur 350 au Congrès des députés et 23 sénateurs sur 208.

Majoritaires sur leur territoire mais minoritaires dans les assemblées nationales, les partis indépendantistes doivent donc utiliser d’autres armes pour se faire entendre. Le referendum est l’une d’entre elles. La Catalogne et l’Écosse ont fait ce choix : soulevant le principe d’auto-détermination des peuples, c’est-à-dire le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ces partis demandent l’avis de la population pour savoir si, oui ou non, ils doivent faire scission. La situation n’est toutefois pas comparable entre les deux régions. En Écosse, Édimbourg et Londres se sont mis d’accord sur le référendum et la question à poser aux électeurs[5]. A contrario, le referendum catalan n’est pas vu d’un bon œil par Madrid. Le parlement et le gouvernement espagnols essaient par tous les moyens d’éviter la tenue du scrutin en le déclarant, par exemple, anticonstitutionnel. La tenue du referendum reste donc, à l’heure actuelle, incertaine. Il n’est d’ailleurs pas exclu par le parti CiU d’attendre le renouvellement du parlement catalan pour mener à bien le projet d’indépendance. Les partis indépendantistes se regrouperaient autour d’un programme commun : l’indépendance de la Catalogne[6]. Dans les sondages également, les situations diffèrent : alors qu’une majorité de Catalans se prononcent en faveur d’une indépendance, les Écossais pencheraient plus pour un maintien de leur nation au sein du Royaume-Uni.

Ceci peut se comprendre par les données économiques et politiques des deux régions. La Catalogne est une économie importante en Espagne (première région d’Espagne en termes de PIB, quatrième si on prend le PIB par habitant)[7]. L’endettement (très important) de la Catalogne est souvent mis de côté pour mettre en avant les chiffres économiques plantureux, ce qui légitime les visées indépendantistes[8]. En Écosse, le jeu n’est pas aussi facile. Certes, le pétrole leur permet d’avoir des revenus non négligeables[9] mais ce n’est rien comparé au pouvoir de la City à Londres et, plus généralement de ce que l’on appelle l’Inner London. Le PIB par habitant en Écosse est d’ailleurs inférieur à la moyenne nationale, ce qui n’est pas le cas pour la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne[10]. La perte serait donc plus importante pour l’Écosse. Cette perte serait compensée par l’adhésion à l’Union européenne et son important marché commun à condition que les États membres acceptent de voir entrer l’Écosse dans l’Union. Cette remarque vaut également pour la Catalogne car les principales forces indépendantistes sont également en faveur d’une adhésion à l’UE.

En conclusion, tant la Catalogne que l’Écosse sont encore loin de prendre leur envol et ce, même en cas de vote positif lors du referendum. L’Écosse pourrait faire marche arrière si elle se heurte au refus d’adhésion à l’Union européenne alors qu’en Espagne, le referendum pourrait ne pas être reconnu par l’autorité centrale. Les deux pays pourraient décider de ne pas réagir ou, plus probable, d’engager des négociations pour une autonomie plus poussée de ces deux régions voire du pays tout entier si une « théorie des dominos » devait s’engager dans d’autres régions (Pays basques, Pays de Galles, etc.)

Les partis nationalistes dans les autres pays de l’Union

Nous l’avons vu, en Belgique, au Royaume-Uni et en Espagne, certaines régions prennent une part importante dans le paysage politique de l’Union. Ailleurs en Europe, les fortunes sont diverses. Chez nos voisins français, la Bretagne (4 sièges sur 67) et la Corse (15 sièges sur 51) voient la part de nationalistes être plus élevée par rapport aux autres régions (métropolitaines), comptant tout au plus deux élus. Toutefois, un constat est à souligner : la très grande partie de ces régions ont vu les partis nationalistes entrer au gouvernement lors des dernières élections. Le régionalisme, c’est-à-dire le choix d’un parti régional prônant l’autonomie ou l’indépendance, est donc une manière de contester l’ordre existant au même titre qu’un vote blanc ou pour un extrême. Aux Pays-Bas, le Parti national de Frise (FNP) est le seul parti indépendantiste à être représenté dans les hémicycles provinciaux, avec un succès relatif[11]. Succès relatif également pour les partis indépendantistes dans la région finlandaise d’Åland ainsi que dans celle polonaise de Silésie. En revanche, le cas de figure au Danemark se rapproche plus de ce que l’on a vu en Irlande du Nord. Les parlements régionaux des Îles Féroé et du Groenland sont tiraillés entre unionistes et séparatistes. Dans les deux cas, les indépendantistes sont majoritaires. Les importants transferts de fonds entre le Danemark et les deux communautés tendent toutefois à faire pencher la balance en faveur de l’unionisme. Le phénomène est plus marqué pour le Groenland[12].

Le cas spécifique

Il nous reste un État à aborder : l’Italie. Comme dans d’autres pays, il existe des formations autonomistes et indépendantistes que l’on pourrait qualifier de « classiques ». Celles-ci peuvent être majoritaires, comme dans le Val d’Aoste ou le Trentin-Haut-Adige, ou minoritaires, comme en Sicile et en Sardaigne. Un cas se distingue de tous les autres, celui de la Ligue du Nord. Fondée par Umberto Bossi, la Ligue du Nord recherche l’indépendance de la Padanie, région de la plaine du Pô. Elle surfe à la fois sur des idées indépendantistes (« l’Italie du Nord, riche et industrialisée, serait retardée dans son développement économique par le Sud, plus pauvre, et par un État fiscalement rapace, corrompu et inefficace[13] ») et xénophobes (« Oui à la polenta, non au couscous[14] »). La particularité de la Padanie est que cette région ne recouvre aucune réalité dans le système politique italien : il n’existe pas de région padane, de parlement padan reconnu par quelconque institution, etc. Cela n’empêche pas le parti de participer à de nombreuses coalitions régionales et provinciales, en collaboration avec l’ancien parti de Silvio Berlusconi, le Peuple de la liberté (PdL). Elle possède même le poste de président de région en Vénétie et dans le Piémont[15]. La Ligue participe activement dans la sécession des régions dites padanes (la Padanie serait alors vue comme une macro-région similaire au Benelux), demandant à corps et à cris des referenda d’auto-détermination. Démarche qui pourrait bien, à moyen terme, se concrétiser en Lombardie[16] et en Vénétie, sans aucune certitude de résultats. Il n’en reste pas moins que la Ligue du Nord joue un rôle important dans l’échiquier politique que cela soit dans la majorité ou l’opposition, son discours anti-immigrés faisant écho à une frange de l’électorat qui n’aurait sans doute jamais voté en faveur de la Ligue sans ces idées.

Europe des régions : mythe ou réalité ?

Après ce rapide tour d’Europe, il est temps de revenir à notre question de départ, et plus spécialement à l’avenir des régions dans l’Europe. Les partis indépendantistes gagnent en visibilité depuis quelques années. Toutefois, l’indépendance de régions européennes reste un cas à part. Même dans les régions ayant avancé leur pions pour une sécession (Catalogne, Écosse), le doute reste permis. Le constat que nous pouvons aujourd’hui tirer réside dans le processus de décentralisation mis en place par l’Union européenne.

Ceci peut apparaître paradoxal de prime abord, mais en réalité, tout ceci relève notamment de la volonté politique des dirigeants européens. En effet, ces derniers prônent le principe de subsidiarité qui veut qu’une compétence doit être attribuée au niveau de pouvoir le plus à même de la gérer ; ce principe permet d’élargir les compétences de l’Union mais également celles des entités infra-étatiques comme les régions. Se sentant légitimes, celles-ci en demandent plus de la part des États, considérant être davantage en position de gérer certaines compétences étatiques. Nous assistons donc à un double processus : centripète au niveau de la construction européenne et centrifuge au niveau national. Ce processus permet aux décideurs européens de découper les États membres en territoires de taille relativement comparable (la Bavière est aussi peuplée que la Belgique, la province de Hainaut aussi peuplée que Chypre), ce qui améliore l’administration du territoire. C’est pour cette raison, qu’à l’heure actuelle, il est possible d’affirmer que l’avènement d’États-régions totalement indépendants relève plus du fantasme que de l’éventualité !

  1. Statuts de la N-VA, consultables sur [http://www.n-va.be/sites/default/files/documents/PDF/statuten20131109.pdf](http://www.n-va.be/sites/default/files/documents/PDF/statuten20131109.pdf)
  2. Programme du Vlaams Belang, consultable sur www.vlaamsbelang.org/programma/52/
  3. Partis indépendantistes : Sinn Fein, Social Democratic and Labour Party. Partis unionistes : Democratic Unionist Party, Ulster Unionist Party, NI21, Traditional Unionist Voice, UK Independence Party ainsi qu’un électeur indépendant. Partis neutres : Alliance Party of Northern Ireland, Green Party in Northern Ireland.
  4. Voir : « Catalogne: les nationalistes de centre droit ont perdu leur pari », sur www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/catalogne-les-nationalistes-de-centre-droit-ont-perdu-leur-pari_1191488.html, publié le 25/11/2012.
  5. Voir : « Écosse: Cameron avalise à contre-coeur un référendum sur l’indépendance », sur http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20121015.AFP2113/ecosse-cameron-avalise-a-contre-coeur-un-referendum-sur-l-independance.html, publié le 15/10/2012.
  6. Mathieu de Taillac, « Espagne : une chaîne humaine pour l’indépendance catalane », sur http://www.lefigaro.fr/international/2013/09/11/01003-20130911ARTFIG00625-espagne-une-chaine-humaine-pour-l-independance-catalane.php, publié le 11/09/2013.
  7. Source : Eurostat 8)Voir Laurence Knight, « Spain’s regional governments: How they got into trouble », sur http://www.bbc.com/news/business-18951575, publié le 28/09/2012.
  8. Voir Victor Lepoutre, « La question du pétrole pèse sur l’avenir de l’Écosse », sur http://www.rfi.fr/europe/20140225-question-petrole-pese-avenir-ecosse-cameron-salmond/, publié le 25/02/2014.
  9. Source : Eurostat
  10. Voir : « PvdA wint verkiezingen Friesland - lage opkomst », sur http://www.nrc.nl/nieuws/2013/11/13/wisselende-opkomst-verkiezingen-pvda-grootste-in-eerste-uitslag-heerenveen/, publié le 13/11/2013.
  11. Voir : « Les mines du Groenland, insuffisantes pour espérer l’indépendance », sur http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1780709/2014/01/24/Les-mines-du-Groenland-insuffisantes-pour-esperer-l-independance.dhtml, publié le 24/01/2014.
  12. Marta Machiavelli, « La Ligue du Nord et l’invention du “Padan” », in Critiques internationales, n° 10, janvier 2001, p. 130.
  13. Affiche électorale de la Ligue du Nord
  14. Philippe Ridet, « En Italie, le triomphe de la Ligue du Nord aux élections régionales », sur http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/03/30/en-italie-le-triomphe-de-la-ligue-du-nord-aux-elections-regionales_1326127_3214.html, publié le 30/03/2010.
  15. Voir : « Brescia, la Provincia dà l’ok al referendum per l’indipendenza della Lombardia », sur http://www.liberoquotidiano.it/news/italia/1285906/Brescia–la-Provincia-da-l-ok-al-referendum-per-l-indipendenza-della-Lombardia.html, publié le 26/07/2013.