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1984-2084 : la nouvelle terreur

Par Jean-Paul Bonjean

On en a beaucoup parlé. Assimiler l’islamisme au totalitarisme est une position qui ne passe pas inaperçue chez les intellectuels tournés vers la tolérance démocratique. L’auteur algérien (dont on suppose qu’il parle en connaissance de cause) enfonce le clou avec cette fable qui dessine la religion comme arme de guerre massive d’asservissement des libertés et des consciences. Si l’islam n’est jamais cité dans le livre, Boualem Sansal ne se cache pas de l’avoir à l’esprit et cela lui vaudra des menaces bien réelles du monde musulman d’une part, et un Grand Prix de l’Académie française du monde occidental d’autre part.

Boualem Sansal - 2084 la fin du monde

Le bouquin assume son ancrage dans le 1984 de George Orwell et passe en revue la panoplie complète de la parfaite dictature : valorisation des actes de dénonciation, organisation et contrôle absolu de la vie sociale, développement de la charité communautaire utile à la survie des pauvres, imposition d’une nouvelle langue, etc. Ce kit de survie des dictatures ne manque pas de pertinence et vise sans aucun doute à provoquer une mobilisation pour la survie de la démocratie. Toutefois, il a un côté un peu théorique dont on sent un peu trop souvent qu’il est au service d’une pensée idéologique qui efface quelque peu la dimension proprement littéraire du récit (reproche que l’on faisait souvent au théâtre de Sartre).

Ati, le héros de ce conte qui se veut ne pas en être un, incarne une forme d’espoir au sein de ce système régulé et régulateur qui, grâce à sa soif de savoir, dépasse les bornes de ce territoire assigné. Pourtant, « ne pas savoir empêche la peur et simplifie la vie ». L’antithèse du savoir, dans ce cas, c’est la religion et son traditionnel cortège de vérités révélées et imposées qui modélisent une zone de confort empreinte de paternalisme.

Cet espoir puisé aux sources du savoir est lié à un rêve de fraternité et doit être distingué du « merveilleux qui enchaîne les peuples à leurs croyances, car qui croit a peur et qui a peur croit aveuglément ». La réponse à l’instrumentalisation de l’islam et la volonté de puissance qu’elle nourrit doit être politique, économique et financière, confiait l’auteur dans une interview. Un bien vaste projet que l’actualité récente rend urgent dans sa mise en œuvre. La survie des démocraties est à ce prix. Trop élevé ?

Boualem Sansal, 2084 La fin du monde, Gallimard, 2015