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Balises sur l’antifascisme à Liège dans l’entre-deux guerres

Par Julien Dohet

Dès le début des années 20 un antifascisme, au sens premier du terme, se constitue à Liège au sein de l’immigration italienne qui a fui le régime de Mussolini. Cet antifascisme s’illustre notamment lors du 1er mai 1926 à Liège1 par la présence d’un groupe de travailleurs italiens encadrant une banderole au message explicite :

« Travailleurs, en ce jour, saluons les héros de la cause prolétarienne, Lavigni et Matteotti, assassinés par les chemises noires. Que le souvenir de la terreur de Turin et le carnage de Florence puisse vous unir dans la lutte contre le fascisme assassin. Vive le Premier Mai antifasciste. »

Mais cette lutte antifasciste n’est pas purement idéologique et ne s’exprime pas uniquement via des slogans, elle est aussi physique, dans la rue. C’est ainsi que le défilé du 1er Mai est l’occasion d’une grande première : la présence des Milices de défense ouvrière (MDO). Et déjà une opposition concrète avec les groupements fascistes a lieu, les Communistes ayant saboté un meeting que la Légion nationale2 avait organisé au Cirque des Variétés, situé rue Lonhienne, quelques jours plus tôt le 25 avril.

Au début des années 30, un autre 1er mai, celui de 1933, sera le théâtre d’une démonstration symbolique qui restera dans les annales. Les cortèges socialistes et communistes font jonction devant le consulat du IIIe Reich de la façade duquel est arraché le drapeau à croix gammée. Julien Lahaut, nouveau député communiste, l’emportera avec lui et quelques jours plus tard le déploiera à la tribune du parlement en clamant : « Voilà le drapeau nazi qu’à Liège, ont arraché les ouvriers communistes et socialistes unis. Quoi que vous fassiez, ils continueront, dans le pays, la lutte contre les menées des traîtres et des valets d’Hitler3. »

L’année suivante, les événements en France vont donner un nouveau souffle et une nouvelle dimension à l’antifascisme. Le 6 février, une démonstration de force de l’extrême droite de l’époque – mobilisation à laquelle se réfèrent d’ailleurs encore aujourd’hui les récits de cette mouvance4 – fait réagir une série de personnes. Le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (CVIA) est alors créé en mars 1934. Ce comité est placé sous le patronage des trois principales tendances de la gauche française de l’époque : les socialistes, les radicaux et les communistes. Le texte fondateur, qui est un manifeste adressé aux travailleurs, reçoit un bon accueil et une adhésion importante. À Liège, un comité local est créé et rassemble de manière large, via notamment la loge maçonnique Hiram qui en est à l’initiative, au-delà des querelles de chapelle qui existent déjà à l’époque. Si des tensions apparaîtront entre ses différentes composantes et que le CVIA aura une brève existence, il n’en apporte pas moins plusieurs éléments clefs :

1° Rassemblement au-delà des clivages et volonté de surpasser les divergences, y compris stratégiques.

2° Réaction au danger d’une extrême droite offensive et en progression.

3° Volonté de pouvoir s’opposer à elle tant intellectuellement que matériellement.

4° Le Comité est l’incarnation d’un esprit antifasciste qui perdurera après lui.

5° Il est, dans sa dimension rassembleuse, précurseur du Front populaire et dans la ligne de l’action antifasciste allemande du début des années 30 et de la volonté d’un Front uni contre le nazisme.

Un dernier événement montre que l’antifascisme à Liège, dès cette époque, ne se limitait pas à une simple lutte idéologique à travers des brochures et des conférences mais avait déjà un aspect plus concret. C’est la dérouillée subie le 15 septembre 1936 par Léon Degrelle, chef de Rex, qui, par provocation, tenait à faire un meeting au cœur de la ville ouvrière de Seraing. Le meeting ayant été interdit par le bourgmestre, Degrelle loue un bateau-mouche pour remonter la Meuse et y haranguer la foule. Massés sur les berges, les travailleurs bombardent l’embarcation forçant le bateau à faire demi-tour. Outre le lancement de barres de fer, de briques, de bouteilles… des coups de feu sont même tirés blessants des rexistes tandis que le bateau est obligé de s’enfuir.

  1. Julien DOHET, « “Qu’on réduise les dividendes et non les salaires”, l’un des slogans du 1er Mai 1926 à l’écho contemporain » in Analyse de l’IHOES n°130 - 25 septembre 2014.
  2. Sur cette dernière, voir Julien DOHET, « Un résistant d’extrême droite » in Aide-Mémoire n°67 janvier-mars 2014
  3. Jules PIRLOT, Julien Lahaut Vivant, Cuesmes, Le Cerisier, 2010.
  4. Voir notamment Julien Dohet « La cohérence d’un engagement » in Aide-Mémoire n°40 avril-juin 2007.