Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°89

Interprète au procès d’Auschwitz

Par Jean-Louis Rouhart

Annette Hess (laquelle n’est en rien apparentée avec Rudolf Heß de sinistre mémoire) s’est fait connaître en Allemagne pour avoir écrit les scénarios de séries télévisées portant sur le contrôle policier en ex-RDA (“Weissensee”) et la situation des femmes en Allemagne dans les années cinquante (“Ku’damm 56/59”).

Portrait de Annette Hess

(cc) Medienagentin

Dans son premier roman, elle met en scène une jeune Allemande (Eva Bruhms), fille des restaurateurs de Francfort tenant l’établissement « Deutsches Haus » – le nom n’a pas été choisi au hasard – qui, sur le point de se marier en 1963, se voit chargée de traduire les dépositions des témoins polonais lors du premier procès d’Auschwitz initié en 1963 par Fritz Bauer1. Malgré l’opposition de ses parents et de son fiancé, qui ont des bonnes raisons de ne pas trop s’étendre sur leur passé, elle accepte cette tâche d’interprétariat. Cette expérience lui fait ouvrir les yeux sur la réalité de l’Holocauste et lui fait apparaître la volonté de tout un peuple soucieux d’occulter le passé et de refouler sa honte et sa culpabilité. Au terme d’un processus d’émancipation, la jeune femme découvre de nouvelles valeurs, se détache progressivement de son fiancé et rompt avec sa famille.

Basé sur des dépositions de témoins du procès d’Auschwitz, qui confèrent à l’intrigue une touche d’authenticité, ce roman recrée l’atmosphère de l’époque et contribue à sa manière, en donnant une voix aux victimes, à la lutte contre l’oubli.

Dans leurs commentaires, les lecteurs de ce livre font part de leur émotion, louent le talent de la narratrice, qui excelle dans l’art de faire revivre le passé et sont d’avis que la parution de ce roman est salutaire, singulièrement à un moment où l’Allemagne et d’autres pays semblent à nouveau en proie aux vieux démons du nazisme, du racisme et de la xénophobie.

Couverture du roman "Deutsches Haus: Roman" de Annette Hess

Voici un extrait de ce roman  (pp. 30-31)2. Il s’agit du passage où Eva Bruhms, après avoir été introduite dans le cabinet du juge Bauer, doit traduire la déposition d’un témoin polonais, Jozef Gabor. Celui-ci raconte ce qu’il a vu le 23 septembre 1941.

« Il parlait un dialecte de la campagne, ce qui présentait des difficultés pour Eva. Elle traduisit avec hésitation.

“Ce jour-là, il faisait chaud, même presque étouffant. Nous devions décorer toutes les fenêtres. Toutes les fenêtres de l’auberge portant le numéro onze. Nous les avons décorées avec des sacs de sable et avons colmaté les fissures avec de la paille et de la terre. […] Puis, ils ont fait descendre les 850 clients soviétiques dans la cave de l’auberge. […] Ensuite, ils ont jeté la lumière dans la cave, à travers les bouches d’aération et ont fermé les portes. Le lendemain matin, on a rouvert les portes. Nous avons dû entrer les premiers. La plupart des clients étaient éclairés.”

Les hommes dans la pièce regardèrent Eva, laquelle ne se sentit pas à l’aise. Quelque chose clochait. […] L’homme aux cheveux clairs demanda à Eva : “Êtes-vous sûre d’avoir bien compris ?” Eva feuilleta son dictionnaire. “Excusez-moi ; je traduis d’habitude des contrats, je suis spécialisée dans les textes économiques et les demandes de dommages et intérêts”. Les hommes échangèrent des regards. […] Eva prit son dictionnaire général qui pesait lourd comme une brique. Elle l’ouvrit et s’aperçut que ce n’étaient pas des clients, mais des détenus. Et ce n’était pas une auberge, mais un block. Et pas une lumière. Pas un éclairage. […] Eva dit : “Désolée, je me suis trompée dans la traduction. Il fallait comprendre : nous avons trouvé la plupart des détenus étouffés par le gaz”. »

  1. Fritz Bauer dut vaincre d’énormes difficultés avant d’instruire les procès d’Auschwitz. C’est ce que montre le film récent intitulé « L’état contre Fritz Bauer ».
  2. Traduit de l’allemand par nos soins.