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Parti Populaire : classifié à l’extrême droite

La rédaction

Dans la perspective des élections communales et provinciales d’octobre 2018, les Territoires de la Mémoire produisaient une note d’analyse consacrée au discours et au programme du Parti Populaire. La question à l’époque était de savoir s’il fallait classer la formation de Mischaël Modrikamen à l’extrême droite de l’échiquier politique. L’investigation menée sur un corpus de textes (manifeste et programme) et de vidéos du PP permit principalement de mettre en lumière une rhétorique dont l’agressivité allait bien au-delà de simples dérapages aux accents populistes. Le discours, essentiellement obnubilé par une immigration très vite décrite comme une déferlante aux couleurs de l’islam, recelait un potentiel de violence auquel nous n’étions, avouons-le, plus habitués en Belgique francophone. Deux scrutins plus tard, et autant d’échecs pour le PP, l’avenir de la formation de Modrikamen semble incertain. Quoi qu’il en soit à ce sujet, nous pouvons tout de même constater que la rhétorique hostile et haineuse du président du PP semble ne trouver que peu d’écho auprès des électeurs. En ces temps incertains où le cordon sanitaire est remis en question, voici au moins un réel motif de satisfaction.

Retrouvez ci-dessous de larges extraits de la note consacrée au Parti Populaire.

Le Parti Populaire est un parti créé le 26 novembre 2009 par l’avocat Mischaël Modrikamen et l’économiste et philosophe flamand Rudy Aernoudt. Il se présente d’emblée comme le représentant d’une droite décomplexée, libérale économiquement et conservatrice sur le plan des valeurs, et dit se donner pour but de rassembler les « déçus du système ». À l’époque, ce positionnement pouvait faire penser à celui de Nicolas Sarkozy en France (« droite décomplexée »). Rappelons en outre que la décision de Mischaël Modrikamen d’entrer en politique suivit de près sa performance en tant que défenseur des petits actionnaires lésés dans l’affaire Fortis, performance qui contribua à braquer les projecteurs médiatiques sur sa personne.

En presque dix années d’existence, on observa une dérive de plus en plus droitière du PP, tant sur le fond que sur la forme. Une première et précoce alerte fut, en 2010, la démission/éviction du coprésident Rudy Aernoudt, suite à des propos du député PP Laurent Louis qualifiés de « racistes » au sujet des Roms1. Monsieur Louis put à l’époque compter sur le soutien de Mischaël Modrikamen, mais fut tout de même exclu du parti quelques temps plus tard. Depuis cet épisode, Mischaël Modrikamen resta l’unique président du Parti Populaire.

Un deuxième signal apparut en 2016. Dans une vidéo publiée en février de cette année sur le site Internet du journal Le Peuple2 et intitulée « Belgique, l’heure du choix, le discours vérité de Modrikamen », le président du PP tenait un discours sur l’islam et l’immigration qui fut qualifié, d’une part, « d’extrême droite » par Manuel Abramowicz, coordinateur de Résistances.be et Jean Faniel, directeur du CRISP, et de carrément « raciste » par Patrick Charlier, du Centre pour l’Égalité des Chances3.

Depuis lors, l’immigration semble devenue la principale obsession du PP, ainsi que la volonté de « remettre de l’ordre ». Le discours apparaît de plus en plus musclé, se basant sur des constats et des affirmations peu explicitées mais qui, par ses généralisations et le recours fréquent à l’hyperbole, mobilise efficacement des affects de peur, de colère et, en creux, d’intolérance et de rejet. Une lecture attentive du manifeste et du programme (intitulé 70 propositions) du PP pour les élections communales et provinciales, ainsi que le visionnage de nombreuses vidéos disponibles sur le site Internet du parti ne firent que confirmer le première impression : le ton se veut volontiers agressif, provocateur et grandement simplificateur4.

Éléments de programme

Le titre du premier chapitre du Manifeste donne le ton : « Oui, nous fermerons les frontières et mettrons dehors ceux qui n’ont pas leur place chez nous ! » Ce premier chapitre est donc consacré à la question de l’immigration, priorité absolue du PP et thématique qui est essaimée un peu partout dans le programme et les propositions (Immigration, Sécurité, politique sociale, etc.).

Exemple de constat préalable peu fiable : « Plus d’un million de nouveaux venus se sont installés en Belgique depuis dix ans. Et la tendance s’accélère. Tout cela a un coût énorme selon nos études [sic] : 10 milliards €/an de charges nettes. Que nous payons par nos impôts et taxes. » (Manifeste, p.2)

Or si l’on consulte les chiffres de l’Office des étrangers (disponibles en ligne), il y eut pour 2016 : 18.170 demandes d’asile et 12.269 départs (forcés, assistés, autonomes) ; et pour 2017 : 19.688 demandes d’asile et 12.493 départs (forcés, assistés, autonomes) ; soit un total de 13096 demandes d’asile en 2 ans. Nous sommes loin de la déferlante d’un million de nouveaux venus en dix ans.

Des propositions appellent pourtant au durcissement des conditions d’entrée, entre autres par le tri, notamment sur une base culturelle préférentielle :

« Nous aiderons les véritables réfugiés, en les protégeant à la périphérie des régions de conflit dans des zones protégées, mais pas en les accueillant en Europe, en raison des risques terroristes et des différences culturelles souvent inconciliables. » (Manifeste, p.2) « Un accueil limité, notamment pour les chrétiens persécutés, se fera dans des “hot spots” en Afrique du Nord ou en Turquie. Une partie des migrants, après screening, pourra venir s’établir en Europe. » (Manifeste, p.2) Ou encore : « Les vrais réfugiés doivent être accueillis dans des «SAFE ZONE» établies près des zones de conflits, sous la protection des forces européennes ou de l’OTAN et reconduits chez eux une fois le conflit terminé pour reconstruire leur pays. » (70 propositions, p.9)

Pour le reste, c’est l’expulsion : « Nous expulserons systématiquement les délinquants étrangers, les imams fauteurs de haine et ceux qui sont en situation irrégulière. Ils n’ont rien à faire chez nous. » (Manifeste, p.2 : notons ici que des points qui relèveraient davantage de questions de « Sécurité » se retrouve dans le chapitre « Immigration ») Y compris pour les détenteurs de la nationalité belge, d’origine étrangère (nous soulignons) : « Les étrangers ou Belges naturalisés qui commettent des délits graves, qui abusent de notre système social ou qui menacent le vivre ensemble par leurs revendications extrémistes, seront systématiquement privés de la nationalité belge et reconduits hors de nos frontières. Ceux qui n’ont plus le droit de séjourner doivent aussi faire l’objet de reconduite effective et pas seulement d’ordre de quitter le territoire non suivi d’effets. Des exceptions limitées pourront être accordées en cas d’intégration exemplaire (travail, participation à la vie associative, …) dans notre pays. » (70 propositions, p.10 : « Écarter les indésirables »)

Sans parler des arrestations et expulsions préventives, sous prétexte de sécurité : « Nous écarterons du territoire les suspects d’activités terroristes ou nous les mettrons en prison préventivement. Nous doublerons le budget de la Sûreté de l’État en vue de lutter efficacement contre ces menaces. » (Manifeste, p.3)

Éléments de langage

Un contenu politique est également à évaluer en analysant sa forme. L’un ne peut être désolidarisé de l’autre. Dès lors, au-delà du contenu des programmes et propositions, il s’agit de constater la rhétorique davantage agressive que populiste du discours qui y figure (sans parler de l’iconographie volontiers explicite). Citons, entre autres :

« Finies les taxes abusives pour financer les dépenses publiques inutiles pour les copains, les copains des copains et parfois les coquins. » (Manifeste, p.1)

« L’establishment politique, vermoulu jusqu’à la moelle, les médias si souvent sourds aux réalités, les calomnies, les lobbies, en un mot les «prétendues élites», ne nous arrêterons [sic] pas. » (Idem)

« Il n’est ensuite pas normal que seuls les criminels aient un accès quasi illimité aux armes à feu sur le marché de la contrebande. » (Idem, p.3)

« L’état dépense des milliards pour accueillir des étrangers alors que les plus faibles, les plus fragilisés de nos sociétés, sont trop souvent abandonnés à leur triste sort. » (Idem, p.6)

« Les villes wallonnes et Bruxelles sont souvent dans un état lamentable. Des ghettos se développent. Elles se «kebabisent». » (Idem, p.10)

« Devenir belge, ça se mérite » (70 propositions, p.10)

Mais c’est surtout au niveau des productions audiovisuelles que le ton se révèle. Sur base du visionnage de plusieurs vidéos (en particulier 13 et 21 septembre 2018, commentaire hebdomadaire de l’actualité par Mischaël Modrikamen), nous avons pu observer que le discours utilisé :

  • est volontiers agressif (« Donc, dehors ! Dehors ! Massivement ! Qu’on arrête de jouer, on les prend, on les reconduit ! ») ;
  • mobilise constamment la rhétorique de l’invasion, de la submersion, mais aussi du complot (« les gnomes de Bruxelles et leurs soutiens mondialistes qui sont en train d’ouvrir les frontières pour assassiner leur peuple […], pour assassiner leur peuple, pour les mettre en minorité. ») ;
  • cultive l’opposition antagoniste entre « Belges de souche » et « nouveaux arrivants » et la menace que les seconds feraient peser sur les premiers (« On chasse nos parents, nos grands-parents, Belges de souche, qui ont été là de tout temps dans leur habitation, pour faire place à de nouveaux arrivants. ») ;
  • relativise les faits de racisme en dénonçant une culpabilisation de l’homme blanc (« Alors, on le dit, il y a du racisme, un peu de racisme et il doit être dénoncé, mais arrêtons d’en faire ce cinéma qu’on est en train de faire pour tenter de culpabiliser les Européens. ») ;
  • énonce des propositions irréalistes voire cruelles (« Prévoyons à la limite un navire, aménageons un navire dans lequel on peut mettre quelques centaines, quelques milliers de personnes et on les re-débarque à chaque fois ! »).

Conclusion

Si le président du PP, comme d’autres, veille à ne pas tomber dans le discours ouvertement raciste, sa propension à cultiver dangereusement un antagonisme qui, s’il n’est pas un appel à la haine à proprement parler, mobilise toutefois les peurs (invasion, insécurité) et les dirige contre certains groupes bien identifiés et bien ciblés (migrants, islam, délinquants d’origine étrangère, élites de Bruxelles complices), laisse peu de place au doute quant au fait qu’une telle rhétorique ne correspond plus au parti ultralibéral-conservateur que le PP prétendait être il y a quelques années et qu’elle siérait davantage à une formation qui aurait sa place dans un hémicycle européen aux côtés du Rassemblement National français, de la Lega italienne, des Démocrates de Suède ou du Vlaams Belang.

Dès lors, après analyse tant du contenu et de la rhétorique du programme du PP, que de la rhétorique employée dans les productions audiovisuelles récentes, la classification à « l’extrême droite » du programme politique du PP ne nous semble pas exagérée.

  1. https://www.levif.be/actualite/belgique/aernoudt-scandalise-par-les-propos-du-depute-pp-sur-les-roms/article-normal-147537.html
  2. Titre de presse autrefois de gauche racheté par Modrikamen et devenu l’organe de propagande en ligne de son parti.
  3. Voir : Stéphane TASSIN, « Modrikamen fait basculer le PP à l’extrême droite », La Libre Belgique, 10 février 2016.
  4. Ce dernier point n’étant pas rare dans les programmes politiques mais pose problème dès lors que sont abordées des questions sensibles comme le terrorisme, l’immigration ou la sécurité, a fortiori si ces questions sont introduites par des constats à l’origine douteuse.