Aide-mémoire>Aide-mémoire n°90

Editorial
Quel avenir pour l’Europe ?

Par Julien Paulus

Rédacteur en chef

Les neuvièmes élections européennes ont donc eu lieu, entre le 23 et le 26 mai, dans vingt-huit pays, Royaume-Uni compris. Si le scrutin de 2014 se déroulait sur fond de crise de la zone euro, en particulier dans des pays comme la Grèce, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande ou le Portugal, mais aussi de défiance généralisée vis-à-vis des politiques européennes, que dire de la cuvée 2019 ? Au printemps, les électeurs eurent à faire leur choix au terme d’une législature qui aura vu un « Brexit » interminable1, un « Grexit » définitivement avorté, une crise migratoire cristallisant tensions, hostilité et sentiment de peur, mais aussi drames humains et solidarités diversement contrastées2, l’émergence ou la confirmation de gouvernements populistes et eurosceptiques (Hongrie, Pologne, Autriche, Italie) ou encore l’urgence de la question climatique.

Que traduisent dès lors les résultats issus des urnes ? Si le raz-de-marée national-populiste, espéré par certains et craint par tous les autres, a finalement été ramené à des proportions plus raisonnables, il n’en reste pas moins que la part des élus pouvant être considérés comme représentant une désaffection voire une hostilité vis-à-vis du projet européen est en augmentation constante. De gauche à droite, le nombre de parlementaires d’obédiences souverainiste, nationaliste ou eurosceptique passe de 169 à 229 sur 751 députés. Selon un rapide calcul, nous constatons donc que l’hémicycle européen comporte aujourd’hui 31% de députés, au mieux critiques, au pire hostiles, vis-à-vis de leur institution3.

L’Europe est-elle en crise ? Tout porte à le croire. Et même s’il est certain que l’institution bruxelloise n’est pas la seule au monde à connaître actuellement des turbulences, plusieurs causes intrinsèques apparaissent à l’analyse. Pour Olivier Starquit (voir p.4), la principale cause de rejet de l’Europe réside dans l’assujettissement de toute forme de politique à un agenda ordolibéral dont la priorité absolue est la constitution d’un marché régi par des règles de concurrence parfaite. Dans cette perspective, tout débat qui sortirait de ce cadre devient purement et simplement impossible et l’UE est alors perçue comme ce mastodonte supra-étatique qui concentrerait l’ensemble des pouvoirs utiles, au détriment des États et de ses électeurs.

Parallèlement, Geoffrey Grandjean discerne au contraire (voir ci-contre) les signes, pas si récents selon lui, d’une déconstruction progressive de l’Europe, victime des paradoxes de sa construction et de son histoire. Parmi ceux-ci, l’auteur pointe, d’une part, l’incapacité du projet européen de dépasser le modèle étatique, le pouvoir politique réel restant en réalité entre les mains des États ; et d’autre part, une identique incapacité à assumer réellement une politique économique cohérente puisque toute une série de compétences, intimement liées à la politique économique, restent l’apanage des États nationaux.

Nous avons donc là deux visions pessimistes de l’Europe qui dépeignent pourtant celle-ci sous des traits qui s’opposent : Léviathan d’un côté, colosse aux pieds d’argile de l’autre. Aucune de ces deux images ne correspond d’ailleurs à l’idéal européen tel qu’il a été maintes fois décrit depuis Victor Hugo. Et, de fait, comme le rappelle Geoffrey Grandjean, il semble évident pour un nombre grandissant de gens que « l’Union européenne n’a pas tenu ses promesses quant à certaines de ses valeurs, dont le respect de la dignité humaine, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit ou encore de la solidarité. »

Faut-il préciser que la création récente, au sein de la Commission européenne, d’un poste de commissaire chargé de la « protection du mode de vie européen » n’est pas faite pour nous rassurer ?

  1. À l’heure où nous rédigeons ces lignes, aucun accord n’est intervenu entre l’UE et le Premier ministre britannique Boris Johnson qui reste prêt au « no deal » quoi qu’il en coûte.
  2. Ainsi, l’exemple de la France où des condamnations pour « délit de solidarité » furent prononcées.
  3. Chiffre provisoire et susceptible d’évoluer quelque peu si les députés britanniques, majoritairement hostiles, quittaient le Parlement en cas de « Brexit ».