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Crimes de guerre nazis

Par Jean-Louis Rouhart

Les crimes de guerre et autres actes de violence, commis par les troupes de la Wehrmacht (l’armée régulière allemande), les unités de SS et de policiers allemands dans les territoires occupés (Pologne, Union soviétique, France, Belgique…) lors de la Seconde Guerre mondiale, ont-ils été perpétrés davantage pour des raisons militaires et sociologiques que pour des considérations idéologiques liées à la doctrine national-socialiste ? C’est ce que tentent de démontrer l’historien Sönke Neitzel et le sociologue Harald Welzer dans un ouvrage de plus de six cent pages, intitulé Soldats, combattre, tuer, mourir : Procès-verbaux de récits de soldats allemands1.

Il s’agit d’une analyse des protocoles des conversations de prisonniers de guerre allemands2, enregistrées à leur insu dans des camps de prisonniers anglais et américains. Exploitées à l’époque par les services de renseignement des forces alliées en tant qu’informations militaires sur l’état du matériel militaire, le développement des nouvelles armes ainsi que sur le moral des troupes allemandes, ces conversations ont servi aux deux auteurs précités pour approfondir nos connaissances relatives au « cadre de référence » qui conditionnait les perceptions et les actions des soldats de la Wehrmacht, des SS et des policiers allemands. Ils en tirent la conclusion que l’idéologie national-socialiste avait joué un rôle moins déterminant qu’on ne le pensait dans les motivations qui ont poussé les soldats à combattre, détruire et commettre des crimes de guerre dans les territoires occupés.

Les auteurs pensent en effet que les combattants étaient davantage guidés par des valeurs d’ordre militaire telles que l’accomplissement du devoir, la bravoure au combat, l’obéissance au chef, la discipline militaire, soit des valeurs traditionnelles présentes dans l’armée allemande depuis le 19e siècle, et étaient mus également par des considérations sociologiques comme la camaraderie, l’entente et la solidarité du groupe. Ils en veulent pour preuve que les sujets de conversations des soldats enregistrées sont rarement d’ordre idéologique et que les préjugés raciaux, la foi dans Hitler et dans la victoire finale ne font que rarement l’objet de discussions entre les soldats. L’extermination des Juifs, à laquelle ils doivent participer ou sont invités à assister, ou encore dont ils ont entendu parler, ne fait pas débat, seules les modalités des tueries posent quelques problèmes à certains. Il en va de même pour l’assassinat des prisonniers de guerre soviétiques ainsi que pour l’exécution des partisans/résistants et des civils.

Dans leur étude détaillée des thèmes qui font l’objet des conversations des militaires, les auteurs montrent que les soldats conversent plutôt sur des aspects techniques, lorsqu’ils décrivent leur armement et leur équipement, ou s’entretiennent, parfois en se vantant, de leurs performances militaires et des expériences qu’ils ont vécues dans les territoires occupés. Ce n’est que très rarement (et surtout quand la défaite se précise) qu’ils abordent la responsabilité morale de leurs chefs (et de leur Führer) dans les exactions commises et font part de leur crainte de voir leurs crimes vengés par les troupes ennemies. Pour étayer leur thèse, les auteurs commentent de nombreux extraits des conversations échangées, ce qui permet au lecteur de se rentre compte que nombre de soldats décrivent les actes de violence, qu’ils ont commis ou qui leur a été rapportés, sans aucune empathie pour le sort réservé aux victimes, parfois même sur le ton de la plaisanterie. Dans certains cas, des interlocuteurs ne cachent pas leur plaisir sadique à avoir accompli leur œuvre de destruction, comme ce pilote relatant un raid effectué au-dessus de l’Angleterre :

« Une fois, nous avons fait une attaque à très basse altitude, près d’Eastbourne. Nous sommes arrivés et avons vu un grand château, apparemment il y avait un bal, en tous cas il y avait des dames costumées et une chapelle. (…) Nous avons survolé l’objectif, puis sommes passés à l’attaque et avons tiré. Mon cher ami, quel plaisir nous avons eu3 ! »

Les conclusions de l’étude, diminuant le rôle de l’idéologie nazie dans les motivations des militaires, n’ont pas manqué de susciter des controverses4. Pour notre part, nous aimerions faire remarquer que si les considérations idéologiques étaient quasiment absentes des conversations des prisonniers de guerre allemands, c’est qu’elles étaient sans doute parfaitement intégrées dans l’habitus des soldats, en raison de l’endoctrinement massif et de la propagande que ceux-ci avaient subis. Par ailleurs, comment expliquer le comportement des SS, en particulier celui des Waffen-SS, réputé pour être fanatique et plus brutal que celui de la Wehrmacht, si ce n’est par un endoctrinement idéologique plus avancé ? Il semble que c’est plutôt la conjonction de mobiles militaires, sociologiques et idéologiques, qui a fait que des crimes de guerre d’une telle gravité ont pu être commis et qu’une armée régulière, constituée en partie de miliciens comme la Wehrmacht, a pu se rendre coupable d’exactions dont on mesure aujourd’hui toute l’importance.

  1. Paris, Gallimard, coll. « NFR Essais », 2013. Traduction de l’allemand de Soldaten. Protokolle vom Kämpfen, Töten und Sterben, Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag 2011.
  2. Ont été également enregistrées des conversations entre des prisonniers de guerre italiens, placés eux aussi sur écoute.
  3. Enregistrement du 26.10.1940 de V.Greim, Special Report Air Force, 828, conservé à The National Archives, Kew, London, WO 208/4120. Cité dans Sönke Neitzel ; Harald Welzer, ouvrage cité, p. 106. Traduit de l’allemand par l’auteur.
  4. On lira à ce sujet les analyses pertinentes de Robert Kahn dans la revue Témoigner. Entre histoire et mémoire, 118, 2014, pp. 177-179 et de Catherine Coquio dans Acta fabula, vol. 14, n° 5, juin-juillet 2015.