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Le mot du Président (92)

Par Jérôme Jamin

Si nous regardons l’Europe en 2020 et plus particulièrement les partis d’extrême droite et leur menace potentielle sur la démocratie, nous sommes naturellement amenés à explorer ce défi dans le miroir de l’histoire, avec un regard spécifique sur les années soixante-dix et quatre-vingt. À cette époque, en Italie, en France, en Belgique, en Autriche, entre autres pays de l’Europe occidentale, de multiples groupes tentent de ressusciter le nationalisme et les politiques anti-immigration, et la plupart d’entre eux comptent dans leurs troupes d’anciens collaborateurs nazis, des écrivains fascistes et des militants ouvertement racistes. À cette époque, la réponse est donc dans la question (de la menace sur la démocratie), le danger est évident ! La mémoire de la barbarie nazie est trop proche pour apporter un autre regard sur ces groupes, le consensus antifasciste d’après-guerre est très fort et ces courants idéologiques sont rapidement marginalisés, ou interdits.

En 2020, la situation est très différente. Les collaborateurs sont morts, leurs héritiers sont âgés et ont souvent été expulsés de leurs partis, et la génération aux commandes est née bien après la guerre. Il est devenu très difficile de trouver de l’antisémitisme ou des discours ouvertement racistes dans les programmes politiques de partis tels que le Rassemblement national en France (anciennement Front national fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen avec d’anciens collaborateurs), la Lega en Italie (anciennement Lega Nord), le Vlaams Belang dans le nord de la Belgique (anciennement Vlaams Blok fondé avec d’anciens collaborateurs) ou le Freiheitliche Partei Österreichs en Autriche. Ils condamnent le négationnisme, ils parlent d’égalité entre les hommes et les femmes, de laïcité, certains d’entre eux font entrer des homosexuels dans leur comité exécutif, et tous ont désormais bâti une solide rhétorique sur la démocratie, ses forces et ses faiblesses. Et c’est là que se trouve l’enjeu !

Ces partis sont désormais très forts pour contester l’argumentaire de la lutte antifasciste parce qu’ils n’opposent pas le nationalisme strict ou la suprématie blanche à la démocratie. Ils opposent une vision spécifique et robuste de la démocratie à une autre vision, plus libérale et plus liée aux droits de l’homme. Ils défendent la démocratie procédurale contre la démocratie des droits fondamentaux, ils défendent la démocratie ici et pour les Européens contre toute tentative d’ériger certains droits en droits universels (dont bénéficieraient les réfugiés). Celui qui aura le dernier mot sur la démocratie – ses valeurs, ses procédures et ses forces – façonnera l’avenir de l’Europe.