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Le Mot du président (93)

Par Jérôme Jamin

Si les statuts de notre association ne mentionnent nulle part la santé parmi nos principaux objets sociaux, notre combat n’aura jamais été aussi important depuis le début de la pandémie ! Par rapport à des enjeux anciens qui remontent en puissance, par rapport à l’actualité internationale de ces dernières années, vis-à-vis de drames récents, mais aussi par rapport à notre agenda eu égard à notre Manifeste, notre Mémorandum et nos objectifs opérationnels à court terme.

Les enjeux anciens remontent en puissance lorsqu’on observe à quel point la Chine a profité de la crise sanitaire mondiale pour renforcer la violence et la toute-puissance politique du parti communiste, développer son système concentrationnaire, et préparer une répression systémique à Hong-Kong. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres (Syrie, Arabie Saoudite, Turquie, et bien entendu Hongrie au sein de l’Union européenne…).

Des défis plus récents ont pris une tournure dramatique lorsque des chefs d’État puissants à la tête de nations influentes, comme Donald Trump et Jair Bolsonaro, ont fait remonter au sommet du pouvoir des théories du complot en général réservées à des milieux plus marginaux. Les deux hommes se méfient du discours sur le réchauffement climatique qu’ils voient comme une supercherie et accusent la Chine d’avoir organisé la crise du Coronavirus, les deux ont popularisé la théorie du complot dites du « marxisme culturel »,
une théorie qui vient des États-Unis et qui a été diffusée dans les ouvrages de l’ultra-conservateur Pat Buchanan au début des années 2000. Pour faire simple, le « marxisme culturel » est une théorie du complot qui affirme l’existence de deux types de marxisme dans la pensée occidentale du XX^e^ siècle, le premier était à caractère économique et révolutionnaire et avançait à visage découvert (il s’effondre avec la chute du bloc soviétique), le second était à caractère culturel et beaucoup plus discret donc beaucoup plus efficace, il serait à l’origine de l’antiracisme, de l’égalitarisme, du féminisme et de la théorie du genre qui visent à dégrader et à affaiblir l’homme « blanc traditionnel, fort, impulsif et courageux ». Chez Trump, c’est l’ancien conseiller Steve Bannon qui a fait rentrer la théorie à la Maison blanche. Chez Bolsonaro, c’est son gourou Olavo de Carvalho.

Notre combat n’aura jamais été aussi important depuis le début de la pandémie, notamment vis-à-vis de l’actualité immédiate dans le domaine des relations ethniques, en Europe mais surtout aux États-Unis suite au décès de George Floyd à Minneapolis, étouffé par un policier blanc le 25 mai dernier. Romain Gary disait : « Le racisme, c’est quand ça ne compte pas. Quand ils ne comptent pas. Quand on peut faire n’importe quoi avec eux, ça ne compte pas, parce qu’ils ne sont pas comme nous. Tu comprends ? Ils ne sont pas des nôtres. On peut s’en servir sans déchoir. On ne perd pas sa dignité, son “honneur”. Ils sont tellement différents de nous qu’il n’y a pas à se gêner, il ne peut y avoir…il ne peut y avoir jugement voilà. On peut leur faire faire n’importe quelle besogne parce que de toute façon, le jugement qu’ils portent sur nous, ça n’existe pas, ça ne peut pas salir… C’est ça, le racisme ». C’est exactement ce que l’on voit dans les yeux du policier qui a coincé le cou de Floyd pendant de longues minutes alors que ce dernier ne cessait de répéter qu’il ne pouvait respirer. « Le racisme, c’est quand ça ne compte pas. »

Il y a enfin le futur de notre agenda eu égard à notre Manifeste, notre Mémorandum et nos objectifs opérationnels à court terme. Et ici, il faut revenir sur le problème d’Internet et des réseaux sociaux par rapport aux mensonges, à la haine et aux théories du complot. Trois éléments majeurs (en partie) nouveaux dessinent le monde qui nous attend. Il y a d’abord les réseaux sociaux qui rendent accessibles à peu près tout et n’importe quoi pour n’importe qui et n’importe quand, alors qu’avant il fallait commander dans les librairies spécialisées des revues pointues à caractère conspirationniste. C’est comme le porno, les théories du complot sont partout, disponibles à n’importe quelle heure, et accessibles gratuitement, en quantité infinie. Il y a ensuite l’impact des algorithmes de Google et des réseaux sociaux qui enferment les gens dans des mondes de plus en plus étriqués où vous êtes confirmés dans vos croyances et isolés des contradictions et des autres points de vue. C’est le principal problème d’Internet qui certes nous permet de trouver ce que l’on cherche mais en nous protégeant et en nous isolant du reste qui finit par ne pas exister. Il y a enfin le fait que le mensonge politique sur les réseaux sociaux (via la publicité politique payante) est extrêmement rentable, des gens comme Mark Zuckerberg ont clairement indiqué qu’ils ne mettraient pas fin à ce business très juteux, soi-disant au nom de la liberté d’expression, au risque de refuser de censurer les appels à la violence de l’occupant de la Maison blanche lors des manifestations qui ont suivi le décès de Floyd. Au risque de tolérer le racisme et la haine sur Facebook faisant de ce réseau social le premier portail raciste sur Internet, loin devant le site officiel du parti nazi américain (The American Nazi Party). Contrairement à une idée reçue, Facebook est bien plus un média avec une ligne éditoriale (et donc une responsabilité devant la justice) qu’une plateforme automatisée qui ne pourrait être tenue pour responsable des contenus qu’elle diffuse. De plus en plus de choix politiques ont été réalisés par l’équipe de Zuckerberg ces derniers temps et la fin de cette immunité est un combat de premier ordre !