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Les mots des médias sur la migration

Par Olivier Starquit

Dans la vie politique, le choix des mots n’est jamais anodin. En effet, le langage n’est pas un simple outil qui reflète le réel, mais il crée également du réel en orientant les comportements et la pensée. Pour le dire autrement, le langage revêt une importance capitale par sa capacité à imposer l’usage de certains mots ou de certaines expressions, tout en interdisant l’usage d’autres.

Dans la vie politique, le choix des mots n’est jamais anodin. En effet, le langage n’est pas un simple outil qui reflète le réel, mais il crée également du réel en orientant les comportements et la pensée. Pour le dire autrement, le langage revêt une importance capitale par sa capacité à imposer l’usage de certains mots ou de certaines expressions, tout en interdisant l’usage d’autres. Cet outil de communication s’avère donc être aussi un puissant outil de domination. Et vivre dans l’omission de cette évidence peut faire des ravages. Les mots portent, emportent avec eux une vision du monde, une logique politique, des marques de démarcation. Les mots classent, trient, délimitent. Et cela s’applique pleinement au champ de la migration. Ainsi, prenons quelques exemples pour illustrer ce propos et rappelons le mantra du gouvernement de Charles Michel concernant la politique d’immigration : une politique ferme mais humaine. Comme le souligne John Pitseys : « la meilleure manière d’asseoir un énoncé politique est de le faire passer pour évident. La meilleure manière de faire passer celui-ci pour évident est de le soustraire au débat. Enfin, la meilleure manière pour soustraire au débat un énoncé politique est d’empêcher que ses termes entrent dans le champ des énoncés réfutables1 » (en effet, qui va préconiser une politique migratoire molle et inhumaine ?).

Toujours dans le champ de l’immigration, la N-VA a systématiquement parlé de « transmigrants », impliquant par-là que les personnes qui arrivent sur le sol belge n’ont pas vocation à y rester et qu’il est donc tout à fait justifié de procéder de la manière dont Théo Francken a agi. L’usage de ce terme a été intériorisé dans le Nord du pays et est devenu inconscient, ce qui est loin d’être le cas en Belgique francophone et il n’est pas illusoire de voir un lien entre la résistance contre la politique migratoire et l’absence de recours à ce terme. Quelques exemples encore : notre pays dispose de centres fermés mais notre pays n’expulse pas, il éloigne voire il raccompagne. Enfin, le terme « métèque », du grec ancien μέτοικος, métoïkos, « qui a changé de résidence », est dans la Grèce antique, un statut intermédiaire entre celui de citoyen et d’étranger, réservé à des ressortissants grecs d’autres cités. Mais, en français, le mot « métèque » a été utilisé dans un contexte xénophobe : il a notamment été employé dans les textes du penseur nationaliste Charles Maurras (à partir de la fin du XIXe siècle). Le terme a pris une connotation péjorative et est passé dans le langage courant, devenant une insulte désignant les immigrés et dans un sens plus large les étrangers résidant en France. Pinaillage sémantique allez-vous dire ? Que nenni ! Définir les mots est un acte politique. Qui en fixe le sens se dote d’un atout stratégique.

Du traitement médiatique

« L’arrivée de milliers de personnes et de familles sur le territoire de l’Union européenne » ou « une nuée de migrants envahissent l’Europe » ? Deux phrases qui relatent exactement le même phénomène, deux phrases qui évoquent l’arrivée de réfugiés fuyant la guerre ou des conditions politiques, culturelles, religieuses, climatiques, sociales et économiques intenables et indescriptibles. Ces deux phrases, par le choix des mots, par le cadrage, induisent des perceptions différentes. Et c’est ainsi que face à cet exode, nous assistons à une valse-hésitation sur la manière de traiter du sujet : migrants, réfugiés, clandestins. En quoi ceci est-il important et pourquoi certains tendraient-ils à préférer un terme à un autre ? Comme le souligne Marco Martiniello, « le traitement politique d’une question dépend fortement de la manière dont elle est formulée2 ». Ainsi, dans un premier temps, les médias dominants et les hommes et femmes politiques ont eu tendance à utiliser quasi exclusivement le terme de « migrant » afin de surfer sur l’antienne martelée sans cesse des « migrants pour raisons économiques » (indépendamment du fait que le mot « migrant désigne au sens propre une personne quittant son pays pour un autre – quelles que soient ses motivations3 ».)

Les mots sont l’émotion !

Dans l’exemple repris ci-dessus, parler de migrants au lieu de personnes a également pour effet de déshumaniser, d’introduire une distance. Par cette froideur sémantique, cette aseptisation, il sera plus facilement acceptable de « refouler un migrant indéfini… et de ne pas venir en aide à un réfugié4 ». Le terme de réfugié évoque quant à lui immédiatement le registre historique (la guerre civile espagnole, le régime nazi…) et le domaine juridique (et les droits fondamentaux de la personne qui y sont liés, songeons à la Convention de Genève). Mais, indépendamment de la manière de qualifier ces êtres humains fuyant l’horreur, les autres mots sont déterminants. Tout d’abord évoquer le spectre de l’invasion est tout sauf neutre. Par ailleurs, c’est l’ex Premier ministre britannique David Cameron qui a parlé d’une « nuée » de migrants alors que le terme de « nuée » s’applique aux insectes, pas aux humains (comment par ailleurs ne pas voir une analogie avec la « grogne » des syndicalistes ?). De son côté, Nicolas Sarkozy a comparé les arrivées en Europe à une canalisation qui explose. Le recours à ce registre distille à flux tendu le rejet et la peur, sentiments propices à la prolifération de propos haineux.

Nul ne choisit où il naît !

Or les migrations ont de tout temps existé. Et dans le cas présent, il semble plus aisé de désigner les exilés comme étant responsables alors qu’ils n’ont pas déclenché les guerres, qu’ils n’ont pas nécessairement choisi le système économique qui les broie, de même qu’ils ne sont pas non plus responsables des changements climatiques qui rendent leurs conditions de vie intenables. En somme, ils ne sont nullement responsables des causes profondes qui les poussent à partir à contrecœur (qui quitte ses proches de gaité de cœur ?). En fin de compte, nul ne choisit où il naît, ni le contexte dans lequel il faut vivre et/ou survivre. Et si, pour nous, le choix entre « migrant » et « réfugié » ne se pose pas, il s’agit toutefois de percevoir que c’est bel et bien le cas pour certains et la lucidité glanée à ce sujet nous permet de mieux saisir les fins qu’ils/elles poursuivent. Notons aussi que le terme « expatrié » (voire « expat ») lui, n’est nullement connoté négativement. En ces temps de frilosité politique, il faut rappeler que le droit à la migration existe pour protéger les plus vulnérables ; que les migrations apportent un enrichissement culturel et social par les échanges qu’elles induisent.

  1. John Pitseys, « Une politique ferme mais humaine », Imagine, n°126, mars-avril 2018, p.30.
  2. Marco Martiniello, « En finir avec les amalgames : l’indispensable distinction entre les réfugiés et les migrants », http://blogs.ulg.ac.be/marcomartiniello/.
  3. http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/448714/crise-migratoire-migrants-refugies-clandestins-le-choix-des-mots.
  4. Marco Martiniello, op.cit.