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Le Mot du président (94)

Par Jérôme Jamin

Éviter la peur et respecter les libertés : un défi aujourd’hui pour la société de demain

Début septembre, Les Territoires de la Mémoire asbl s’associaient à une lettre ouverte collective adressée aux responsables politiques belges concernant la gestion de la pandémie. À l’initiative de Belgium Beyond COVID et co-signée à son lancement par une soixantaine de personnalités académiques et de la société civile, cette pétition appellait la mise sur pied de nouveaux groupes de travail pluridisciplinaires qui puissent proposer des mesures adaptées et proportionnées au regard des autres problèmes de société et de santé publique, sans effets collatéraux néfastes et dans le respect de l’État de droit, de la démocratie et des libertés individuelles.

Si notre société s’est préparée, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à rester en alerte face aux risques fascisants de mesures politiques racistes ou discriminatoires, elle n’est probablement pas rôdée ni outillée face aux potentielles dérives totalitaires de mesures politiques excessivement hygiénistes. Pourtant, les deux partagent au moins un point commun : elles fonctionnent avec la peur de l’autre.

Des termes précis, pour éviter la banalisation des restrictions de libertés

Il nous semble urgent de rappeler que les mesures doivent lutter avant tout contre l’épidémie et la saturation potentielle du système hospitalier : le fameux « pic de saturation », largement évoqué au début de la pandémie et qui, un temps, semblait avoir disparu de la communication au profit du seul « virus ». Dans le premier cas (« lutter contre la saturation des hôpitaux ») nous visons collectivement à éviter une situation exceptionnelle et ponctuelle (un « pic »). Dans le second cas (« lutter contre un virus qui circule toujours parmi nous »), « l’autre » devient un individu à craindre puisque potentiellement contaminant, et dont nous devons nous protéger de manière permanente et quotidienne. Ce qui sociétalement peut justifier bien des mesures liberticides durables voire permanentes.

Or depuis longtemps déjà, nos chercheurs, notre système de soins et même nos corps physiques luttent de manière permanente et quotidienne contre quantité de virus : qu’y a-t-il donc de si exceptionnel qui justifie ces mesures… si ce n’est précisément la situation pandémique et le risque de saturation du système de soins ? N’est-il donc pas important d’attirer l’attention de nos responsables politiques – dont le travail doit par ailleurs être salué – sur la nécessité de communiquer très précisément sur ce point ?

Garantir la durée déterminée des mesures restrictives de libertés

Une mesure, pour pouvoir déroger aux libertés fondamentales, doit être légitime, proportionnelle à l’objectif à atteindre, et temporaire. Ce dernier critère constitue une garantie essentielle pour la démocratie. À titre d’exemple, citons l’arrêté ministériel du 30 juin 2020 modifié par celui du 24 juillet 2020, portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus (concernant les coordonnées personnelles enregistrées dans le secteur Horeca, les rassemblements de 15 personnes maximum sauf exceptions précises, les modalités de voyage à l’étranger et vers la Belgique, ou encore le masque obligatoire dans les rues commerçantes et tout lieu privé ou public à forte fréquentation) qui contient une date de prise de cours, ainsi qu’une date de prise de fin (le 30 septembre 2020). De même, dans cet arrêté, la fixation du délai de conservation de l’adresse de contact d’un convive dans l’Horeca à 15 jours suivi de sa destruction, est une vraie garantie de temporalité à durée déterminée – et une pratique à favoriser.

Les mandataires politiques doivent garantir la suppression de toutes les mesures temporaires pour éviter l’effet cliquet, sur lequel notre association attirait déjà l’attention en avril 2020. La société de demain se prépare aujourd’hui, y compris en matière de libertés. Nous vivons un moment inédit dans l’histoire humaine. Gérons-le aussi de manière collective et multidisciplinaire, et restons en alerte sur les dimensions très concrètes de proportionnalité, de légitimité et de temporalité des mesures de restriction de nos libertés.