Aide-mémoire>Aide-mémoire n°98

Celles et ceux qui résistent… ici, maintenant, simplement et joyeusement

Propos recueillis par Julie Ricard et Gaëlle Henrard

Ne pas rester seul·e : sans doute un des fondements les plus importants de la résistance. Alors, on est parties à la rencontre de gens aussi ordinaires qu’exceptionnels qui, ici et maintenant, résistent chacun·e à leur niveau, dans leur environnement et avec leurs outils.

On a adoré discuter avec elle et eux, on les a filmé·e·s et on en a fait des petites capsules vidéos qui sont comme des shots d’élan, de force et de joie militante.

On vous en propose ici quelques morceaux choisis ainsi que les « trucs » de résistance de Boris, Olivier, Stéphanie, Aksel, Morgane, Irène et Nadine. Immense merci à elles et à eux !!!

Retrouvez-les en intégralité sur la page Instagram de l’exposition « Échos – Trucothèque de nos résistances »
(@echolexpo) et dans l’exposition elle-même.

BORIS : Occuper le terrain

Je m’appelle Boris Vaessen. Je suis membre de la plateforme Ry-Ponet, un groupe d’une cinquantaine de personnes qui se mobilisent contre des projets immobiliers sur une zone de 300 ha entre Liège, Chaudfontaine, Beyne-Heusay et Fléron.

Je me suis mobilisé, là où je me trouvais en fait. J’ai grandi à Chênée, juste à côté du site que je défends actuellement. Quand j’étais plus jeune, c’est là où j’allais jouer, et donc quand j’ai appris que ce site était menacé par un projet immobilier, ça a été assez évident pour moi de me mobiliser.

Au début, ça a été un peu compliqué de se joindre à des gens un peu éloignés de moi, que je n’aurais pas rencontrés sans me mobiliser ici mais qui, comme moi, ont un intérêt et besoin de ce site, en fait.
Et ça m’apporte un peu de cohérence : on peut facilement trouver des informations sur ce qu’est la démocratie, l’importance du concept, comment il se crée, etc. Mais avoir une mobilisation telle que celle-ci, ça rend palpable ces concepts-là.

Plateforme et collectifs « Occupons le Terrain ! »,
www.occuponsleterrain.be

OLIVIER : Éclairer le vampire

Moi, c’est Olivier Starquit. Professionnellement, je dirige les Services Syndicaux de la Centrale Générale de la FGTB, donc c’est déjà une forme de militance en soi. Mais je milite également, notamment à Barricades et aux Territoires de la Mémoire. Et je milite beaucoup avec ma plume.

Un déclic a notamment été Alain Accardo1, qui a été pour moi le premier à montrer que nous sommes tous traversés par le capitalisme et il faut être conscients de cela. L’adversaire est en nous, donc comment fait-on pour l’éliminer de chez nous d’abord, pour se purger et puis après être un peu plus cohérents dans les postures qu’on adopte.

Puis à un moment, il faut accepter qu’on ne fera pas la révolution. Par contre, on peut partir du principe que les petits cailloux, les petites pièces qu’on pose permettent d’arriver à des changements. Et ce qui était impensable il y a quelques mois, soudainement, le devient parce que les lignes ont bougé. C’est un travail de longue haleine mais ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas le mener.

Sur la violence, je pense qu’à partir du moment où on dit qu’on est non-violent, on accepte dans les faits et dans le débat que c’est l’État qui est le détenteur du monopole de la violence légitime. Il faut reconnaître qu’on vit dans une société qui est de moins en moins tolérante à l’égard de la violence. Mais, paradoxalement, elle accepte sans broncher d’autres formes de violence, quotidiennes celles-là. Et donc il faut éclairer toutes les formes de violence : institutionnelle, la violence sociale, la violence qui se manifeste par l’usage des mots.

Moi ce qui m’inspire c’est la lutte au quotidien, ce sont les personnes qui, au quotidien, décident que cette situation est injuste. J’ai une prise de conscience par rapport à cette situation et je réfléchis avec mes humbles moyens : qu’est-ce que je peux envisager de faire, et qu’est-ce que je fais au quotidien ? Il y a 36.000 petites lucioles qui peuvent être activées systématiquement, constamment, et parce qu’à la fin, c’est nous qu’on va gagner !

STÉPHANIE : Lutter à l’intersection

Je m’appelle Stéphanie Ngalula, je suis une activiste militante afropéenne belge. Et, de par mes origines, je suis Congolaise. Je résiste dans le domaine de la décolonisation, aussi bien des mentalités que de l’espace public, ainsi que dans le domaine environnemental et anticapitaliste.

Ce qui m’a amenée à m’engager et à résister, c’est que tout d’abord, je suis une femme et je suis une femme noire et j’ai été amenée à faire face à plusieurs situations qui m’ont interpellée quant à la condition des femmes de manière générale et la condition des personnes noires en particulier. Ensuite, il y a le rapport que le capitalisme a établi entre la préservation de notre planète et la déshumanisation des êtres humains au quotidien.

Ce qui rend parfois la résistance difficile, c’est qu’en fait on a réussi à ancrer au plus profond de nous qu’il n’y a pas de changement et qu’on est face à une machine qui nous dépasse, et que du haut de notre petite personne, on ne peut rien faire ou pas grand-chose. C’est ce qui rend parfois la militance difficile, mais c’est la même raison aussi qui fait que si ce n’était pas si grand et si important, ça n’aurait pas vraiment de raison d’être. Et je continue aussi parce que la militance, pour moi, c’est pas un hobby, c’est une question de survie, de dignité, de restitution dans mon humanité. Enfin, dans un monde raciste, sexiste, homophobe, capitaliste, préserver sa santé mentale est une forme de résistance.

Collectif « Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations », www.memoirecoloniale.be

AKSEL et MORGANE : Ne rien faire n’est pas une option

Morgane : Moi, c’est Morgane, je suis étudiante en coopération internationale et je suis engagée depuis… toujours, mais dans le militantisme de désobéissance civile depuis plus ou moins 2018 je pense.

Aksel : Moi, c’est Aksel et je suis aussi étudiant en coopération internationale.

Morgane : Liège sans pub, c’est un collectif liégeois qui lutte contre la publicité à Liège par des actions de désobéissance civile notamment avec du recouvrement publicitaire et des actions en faveur de l’arrêt de l’expansion parce que chaque année, il y a de plus en plus de panneaux publicitaires.

Aksel : Moi, je n’avais pas forcément un entourage qui s’intéressait aux luttes. Du coup, c’est vraiment par moi-même que j’ai beaucoup cherché, et il y a vraiment des documentaires ou des livres qui nous poussent à nous réveiller, à bouger. Il y a énormément de gens dans l’ombre, qui veulent aussi faire changer les choses, qu’on n’est pas tout seuls.

Morgane : Un des plus gros leviers de mon militantisme, c’est tout simplement le fait que je ne peux pas ne rien faire. À partir du moment où j’ai eu cette conscientisation, que j’ai ouvert les yeux sur tout ce qui se passait, que j’ai pris conscience de certains de mes privilèges aussi, je me suis vraiment dit : « ok, maintenant, qu’est ce je peux faire à mon échelle ? », parce que juste ne rien faire n’est pas une option. Alors, ça ne veut pas dire que c’est facile parce que franchement c’est pas évident d’être militante et d’être conscientisée. Mais je pense que le fait de rencontrer des gens qui sont engagés aussi, qui comprennent ce que tu vis, de pouvoir avoir des discussions, tout ça au final fait que ça te porte, et tu finis toujours par te lever.

Collectif « Liège sans pub », www.liegesanspub.be

IRÈNE : À contre-courant

Je m’appelle Irène Zeilinger. Je suis féministe et je résiste contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Et je fais ça, entre autres, par le biais de l’autodéfense féministe.

Quand j’avais 15 ans, la mère d’une amie m’a prêté un livre qui s’appelait « Le livre tout rose pour les filles », et qui expliquait le féminisme aux filles. Chaque chapitre était chapeauté par la citation sexiste d’un homme très connu, artistes, philosophes, saints, rois. C’était tous des grands hommes que j’apprenais à l’école. Et jamais on ne m’avait dit qu’ils pensaient ça des femmes. On dit que l’école doit rester neutre. Mais ce n’est pas neutre de ne pas dire ce que ces gens disent et pensent des femmes. Ce n’est pas neutre d’effacer cette injustice. Si on est neutres face à l’injustice on fait partie de l’injustice.

Le système d’oppression, c’est comme une rivière qui coule toujours dans le même sens et donc c’est vraiment facile de se laisser emporter sans trop réfléchir et c’est ce que la majorité des gens font tant qu’ils ne sont pas concernés directement. La résistance recouvre donc tout ce qui est « ne pas me laisser emporter par la rivière ». Ça peut être m’arrêter dans la rivière, et donc ne pas me laisser emporter. Aller contre le courant de la rivière. Ça peut être se tenir sur le bord de la rivière, et laisser mes pieds pendre dedans ou pas. Mais tout ça coûte plus de force que se laisser emporter, et c’est pourquoi on reste encore une minorité à résister.

Pour oser résister, il faut être plusieurs… Ce qui booste, c’est ne pas être seule, avoir le miroir d’autres qui vivent la même chose, qui voient les choses de la même façon, c’est très renforçant pour oser résister à quelque chose que la plupart des gens trouvent normal.

Association « Garance », www.garance.be

NADINE : La vie en couleurs

Je m’appelle Nadine Lino. Je suis d’origine italienne et je suis la maman d’un petit garçon de 12 ans et de quelques dizaines d’autres enfants de différentes origines. Je suis aussi une femme entrepreneure et une citoyenne engagée. J’ai créé en 2015 l’asbl Live in Color qui œuvre à l’intégration et l’éducation des jeunes réfugiés et de leur famille notamment en région liégeoise.

En 2015, lorsque j’ai vu arriver toute cette vague de jeunes réfugiés, ça a tout de suite retenti très fort en moi. Je me suis dit qu’il était indispensable d’œuvrer pour un mieux vivre-ensemble et pour de la cohésion sociale. Personnellement, ce que je suis aujourd’hui je le dois à l’intégration. Par ailleurs, je fais partie des nombreuses personnes qui pensent que la différence culturelle est une richesse et que ça permet une ouverture sur le monde.

Pour résister, il faut sauter le pas, assumer pleinement ses convictions, ses valeurs, même si ce n’est pas toujours évident, surtout lorsqu’elles vont à contre-courant de la pensée du moment. Je pense qu’avec les années, quand on se connaît mieux soi-même, on ose peut-être plus facilement une voix différente. Et moi, ma grande motivation c’est de voir le changement et le positif qu’on peut apporter justement à notre petite dimension dans cette société. On a le sentiment de quelque chose de juste.

Association « Live In Color », www.liveincolorassociation.com.

Les astuces de leur trucothèque pour résister…

Boris

  • Savoir pour qui on se mobilise
  • Savoir ce qu’on peut amener à la mobilisation
  • Mettre les mains dans le cambouis

Olivier

  • Démythifier la notion de résistance, ne pas attendre le Grand Soir
  • S’inspirer de ceux qui luttent au quotidien
  • Varier les manières de lutter
  • Surtout ne pas oublier : à la fin c’est nous qu’on va gagner !

Stéphanie

  • Avoir conscience de la charge politique des objets qui nous entourent (des monuments aux fruits)
  • Ne pas prendre la parole à la place de…
  • Dans un monde raciste, sexiste, homophobe, capitaliste, préserver sa santé mentale est une forme de résistance

Morgane et Aksel

  • Se rassembler, ne pas rester seul·e
  • S’informer, se documenter
  • Penser à ce qu’on consomme, ses habitudes, son mode de vie
  • Se dire « pourquoi pas ? » et se mettre un coup de pied au cul

Irène

  • Ne pas rester neutre en situation d’injustice
  • Ne pas se laisser emporter par la rivière
  • Se regrouper et penser en termes de stratégies

Nadine

  • Se rapprocher au plus près de ce qui nous semble juste
  • Oser une voix différente
  • Ne pas se chercher d’excuses et sauter le pas
  1. Alain ACCARDO, De notre servitude involontaire, Agone, 2013.