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Entretien avec le Service Pédagogique des Territoires de la Mémoire pour l’exposition « Échos – Trucothèque de nos résistances »

Propos recueillis par Gaëlle Henrard

Gaëlle Henrard : Comment ce projet a-t-il émergé ?

Julie, Anne-Sophie et Clara : Cela fait plusieurs années qu’on a le désir de monter un projet qui permette de (re)poser la question de la résistance aujourd’hui et de donner plus de place à la parole des gens. On constatait en effet que cette question était posée à nos publics, mais uniquement dans le cadre de certaines activités. Quelque part, ce qu’on voulait, c’était rassembler toutes les réponses des gens au « S » final de la fresque RÉSISTANCES qui se déploie à la Cité Miroir, et qui interroge l’engagement que chacun et chacune d’entre nous peut poser.

Avec ce projet, il s’agissait aussi de prendre un temps pour poser, à nouveau, nos réflexions sur la résistance ici et maintenant. En ne perdant bien entendu pas de vue qu’en tant que Territoires de la Mémoire, l’ancrage dans le passé est fondamental, mais pas suffisant pour réaliser un travail de mémoire et d’éducation à la citoyenneté et aux valeurs démocratiques. Nous souhaitions vraiment mettre en valeur la résistance au présent, a fortiori en regard du fait que les retours de nos publics portent majoritairement sur : « oui, mais aujourd’hui, comment s’y prendre pour résister ? à quoi ça sert encore ? à quoi bon aussi ? et face à qui, à quoi ? (en regard de la difficulté souvent d’identifier l’adversaire) ».

Rapidement, nous avons pris l’option de proposer un appel à contributions et une collecte de paroles, pour que cette exposition soit participative. Malgré quelques inquiétudes, le confinement n’a finalement pas présenté d’obstacles, d’autant plus qu’on s’adressait principalement à des individuels, outre bien sûr les groupes avec lesquels nous travaillons déjà et qui ont également répondu à l’appel. Peut-être le confinement a-t-il même favorisé la participation des gens individuellement. Au terme de la collecte, c’est une centaine de contributions, paroles et créations confondues (illustrations, peintures, objets 3D) que nous avons recueillies, avec une belle diversité en termes d’âges et d’horizons. Mentionnons aussi le fait que, dans certains cas, ce qu’on a recueilli est l’aboutissement d’une réflexion et le fruit d’un travail de groupe, comme celui réalisé par la section Illustration Bac.1 de l’École Supérieure des Arts Saint-Luc Liège1. Les étudiant·e·s ont non seulement participé à la collecte de paroles, mais chacun·e d’entre elles/eux s’est ensuite réapproprié la phrase d’un·e camarade pour l’illustrer. Cela a vraiment permis un dialogue entre différentes créations et réflexions, quelque chose de l’ordre du politique justement. On a aussi recueilli des productions de l’école Charlemagne, dans le cadre du cours de citoyenneté, dont une boucle sonore, ainsi que des contributions d’un groupe de femmes du Collectif Contre les Violences Familiales et l’Exclusion (CVFE) sur les thématiques du patriarcat et du féminisme2.

© CamilleROGISTER

Avec le confinement toutefois, nous avons voulu proposer une alternative à l’exposition physique qui n’a pu être mise en place aux dates initialement prévues. Nous avons donc créé une exposition virtuelle sur Instagram (@echolexpo). Il était important pour nous d’honorer, sans trop attendre, notre engagement vis-à-vis des gens qui nous ont fait confiance pour valoriser leurs propositions. Et sur cette page sont venues se greffer des interviews sous forme de capsules vidéo avec des personnes engagées dans différents domaines.

Pour le titre, nous étions d’abord parties de la formule générique « Mémoires et Résistances » (pour revenir à l’ancrage mémoriel des résistances passées). Pour autant, la dénomination « Mémoires et Résistances » peut avoir quelque chose de colossal, d’intimidant, et aussi véhiculer une image un peu désuète. Or notre élan se déployait davantage du côté du dynamisme et de l’engagement au quotidien par chacun·e. Et lorsque les contributions ont commencé à arriver, on a pu s’apercevoir qu’elles étaient globalement plus ancrées dans l’actualité et qu’il n’y avait pas tant de liens avec le passé de la part des contributeur·rice·s. Par ailleurs, beaucoup de paroles et de contributions se répondaient, s’interrogeaient mutuellement, se contredisaient ou amenaient de la nuance… bref faisaient « écho » les unes aux autres. De là a donc émergé le titre « Échos », qui comporte en outre un aspect poétique. Ce sont donc des paroles qui font échos entre elles, à l’actualité, et entres différents pays. Par ailleurs, le but est aussi qu’elles fassent écho auprès du public qui viendra visiter l’exposition et à qui on proposera de s’exprimer. Le terme « trucothèque de nos résistances » vient quant à lui rendre l’envie de proposer des outils, de permettre aux gens de venir piocher dans une manne hétéroclite quelque chose, un mot, une phrase, une piste, une inspiration.

Gaëlle Henrard : Qu’avez-vous pu recueillir, accueillir, au travers de cet appel lancé au public ?

Julie, Anne-Sophie et Clara : Au niveau des thématiques, les grandes tendances qui se dessinent sont l’écologie, l’environnement et le climat, la gestion de la crise sanitaire avec la question du masque par exemple, la lutte contre la domination du patriarcat, l’immigration, les frontières et les papiers, ou encore la diversité des cultures, les régimes autoritaires et l’extrême droite, les inégalités et la pauvreté, la question de la violence et des moyens de lutte. On a aussi beaucoup rassemblé de réflexions sur le fait que résister, ça n’est pas juste réfléchir mais c’est aussi passer à l’action, avec tant la difficulté que la nécessité que cela représente. Il y a aussi eu des propositions sur la résistance au quotidien, sur l’engagement qui peut être simple et proche de nous. Enfin, avec la période de crise sanitaire que l’on traverse, la question de ce qui est essentiel et non-essentiel a aussi été abordée, ainsi que notre place dans un monde bouleversé et chaotique.

© Justine VANDERLOCHT

Il a aussi été intéressant de voir les différentes façons de répondre à notre appel. Les contributeur·rice·s qui ont répondu à la question par écrit étaient plus dans la formulation d’une réponse construite, presque argumentée. Et ceux qui nous ont envoyé des créations étaient plutôt dans l’expression d’un ressenti sur un sujet.

Gaëlle Henrard : Quels enthousiasmes ou à l’inverse quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la conduite de ce projet ?

Julie, Anne-Sophie et Clara : Face au foisonnement des contributions, il n’a pas d’emblée été facile d’y voir clair pour chacune d’entre nous. Il a fallu le temps que cela prenne forme. Il y a forcément une incertitude à construire l’entièreté d’un projet à partir de ce que les gens acceptent de partager avec nous. Mais l’enthousiasme est venu de ce même aspect : de la richesse, de la diversité et de la qualité des contributions. Les participant·e·s nous ont fait part de leur fragilité, de leur humanité, et ça vraiment, ça nous a fait chaud au cœur. C’est d’ailleurs quelque chose qui est ressorti dans le regard d’une de nos partenaires : la dimension « forces et fragilités », c’est-à-dire des messages forts mais plein de fragilité aussi. On a été très touchées par le fait que les personnes ont donné un petit bout d’elles-mêmes à travers leurs témoignages et créations. Elles nous ont fait confiance en partageant ces choses personnelles, parfois intimes. Elles ont accepté de prendre le temps de réfléchir à l’interrogation qu’on leur soumettait et de le partager avec nous, sans forcément savoir où ça allait atterrir, qui plus est dans une période floue. Ça n’est tout de même pas rien ! Et notre enthousiasme s’est encore redéployé avec l’aboutissement auquel on est en train de parvenir à partir de tout cela. On a hâte de rencontrer les gens qui ont apporté leurs contributions, qui s’y sont impliqués. Clairement, on a manqué de rencontres humaines comme celles-là.

© Bénédicte BROUWERS

Au final, on a bien senti qu’il était bon et nécessaire de rappeler que tout le monde a quelque chose à dire quand on lui pose la question : « Et pour toi, c’est quoi résister aujourd’hui ? ». Les gens ont pu partager leur point de vue et le considérer comme légitime, d’autant que nous ne voulions pas que ça s’apparente à un concours, d’aucune manière que ce soit. Cela a permis de mettre en dialogue différentes luttes, de créer du collectif et de faire en sorte que certaines personnes qui souhaitent s’exprimer ne soient pas seules dans cette démarche. Un autre intérêt réside dans le dispositif qui sera présenté conjointement, à La Cité Miroir, à l’exposition de photojournalisme « World Press Photo ». D’un côté, on aura des clichés de photographes professionnels à travers le monde sur des événements divers et variés, et de l’autre une approche plus personnelle, plus locale, sur l’enjeu de la résistance aujourd’hui.

Gaëlle Henrard : Au terme de cette collecte et au vu de tout ce que vous avez rassemblé, quel regard portez-vous sur l’objet même de ce projet qu’est la résistance ? Avec quoi ressortez-vous de ce projet ?

Julie, Anne-Sophie et Clara : On ressort avec un optimisme confirmé, un optimisme sur la richesse que chacun·e a en soi, en termes de beauté, de réflexions, d’échanges, de contradictions, de diversité. Un optimisme sur le fait que les gens se font encore confiance les uns les autres. En ce compris pour les gens qui portent en eux des choses parfois plus sombres, plus nihilistes, plus pessimistes : parce qu’ils ont quand même partagé, ils se sont intégrés dans un dialogue, en y croyant quand même d’une certaine façon. Cet optimisme se manifeste aussi dans l’idée véhiculée au travers des réalisations que pour toute chose, il faut tenter le coup. Que risque-t-on ?

© Lidya THEODORIDIS

On retire aussi une beauté : dans toutes les créations, très diverses, il y a beaucoup de beauté. Une beauté qui émerge aussi de cette idée de « forces et fragilités ».

On ressort aussi avec de la confiance quand on voit tout ce que les gens nous ont envoyé. Il y a une force vive de gens qui incarnent les combats auxquels on travaille aux Territoires de la Mémoire. Ils y croient et ils font avancer les choses. Plein de choses sont déjà en route. On ressort donc renforcées dans ce sentiment de confiance par rapport aux humains tout simplement.

(Afin de respecter et d’illustrer les actes de résistances quotidiennes contre les stéréotypes de genre, notamment évoqués dans l’exposition Échos, Trucothèque de nos résistances, l’association a choisi d’adopter, dans plusieurs textes de ce numéro, certaines règles de l’écriture inclusive dont l’usage du point médian.)

  1. Les illustrations présentées ci-dessous en sont issues.
  2. Voir interview en pp.6-7 de ce même numéro.