Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°98

Le Mot du président (98)

Par Jérôme Jamin

Comme annoncé par Julien Paulus dans son éditorial (voir p.1), ce numéro est le dernier à paraître, à la fois sous ce format et sur base trimestrielle. À partir du printemps 2022, c’est un périodique rénové, repensé et augmenté qui succédera à celui que nous connaissons depuis maintenant plus de deux décennies.

De telles évolutions, si elles sont indispensables pour se projeter dans le futur, permettent également de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur afin de réaliser une sorte de bilan sur le travail accompli. Ayant longtemps tenu le rôle de rédacteur en chef de la revue Aide-mémoire, j’ai éprouvé la curiosité de me pencher sur quelques-uns des éditoriaux que j’ai eu l’occasion de rédiger à l’époque. Celui du numéro 17 d’avril 2001 – il y a donc 20 ans – a particulièrement retenu mon attention et je me permettrai d’en citer ici de larges extraits :

« Les responsables politiques qui cherchent d’une façon ou d’une autre à établir une hiérarchie entre les bons et les mauvais extrémistes de droite portent une responsabilité incontestable dans la nouvelle géographie politique de l’Europe. En formulant une typologie très complexe séparant les néofascistes des populistes, les fascistes repentis des racistes, et les antisémites des ultranationalistes xénophobes, ils ont contribué à banaliser définitivement l’arrivée au pouvoir d’une clique d’individus jadis unanimement considérés comme infréquentables, en raison de leurs propos, de certains membres de leur parti ou des alliances qu’ils n’hésitaient pas à passer afin de se hisser ou de se maintenir au pouvoir. Mais le temps où l’on s’indignait des propos de Jean-Marie Le Pen est déjà loin. Désormais, directement ou indirectement (coalition), la Suisse (Blocher), l’Autriche (Haider) et l’Italie (Bossi, Fini, Berlusconi et Rauti) sont dirigées par des individus connus pour leurs discours xénophobes. Et ça ne choque plus personne. L’habitude, l’indifférence, la facilité, la banalisation, la passivité et le conformisme généralisé, voilà où nous en sommes aujourd’hui. Cette Europe dirigée partiellement par l’extrême droite s’ébauche, se manifeste dans un contexte moral tout aussi déprimant au regard de la dignité humaine et du respect des hommes en général. »

Vingt années plus tard, on ne peut pas dire que la géographie politique de l’Europe ait évolué dans le sens souhaité et, à l’Italie, l’Autriche et la Suisse sont notamment venues s’ajouter la Pologne et la Hongrie, tandis que la France se dirige tout doucement vers une élection présidentielle qui semble prendre les allures d’un concours de popularité entre Marine Le Pen et Éric Zemmour. Et cela, dans le contexte moral aggravé d’une crise migratoire qui voit plusieurs pays européens réclamer aujourd’hui la construction de « murs de protection » aux frontières extérieures de l’UE, plaidant in fine pour une solution que l’Europe trouvait infâmante dans la bouche d’un Donald Trump. Sic transit gloria mundi.

Un tel constat est certes navrant et déprimant ; il met en lumière les revers des progressistes du monde entier devant ce qu’il faut bien appeler une banalisation, non plus rampante mais galopante, des discours de rejet, d’hostilité voire de diabolisation d’autrui. Mais il doit également nous conforter dans le sens de notre combat, de la défense de nos valeurs, de notre refus des idées liberticides et des discours de haine. Les Territoires de la Mémoire continueront à s’y engager, que ce soit dans les pages futures de cette revue ou n’importe où ailleurs.